mercredi 6 mai 2015

Une nuit sur le mont Chauve Michel Butor/ Miquel Barcelo

Une nuit sur le mont Chauve                                                                                                    
   
Poèmes de Michel Butor 
Œuvres de Miquel Barceló

Editions de la Différence, 2012

ISBN : 978-2-7291-1986-7





                  Une intranquilité nocturne




  Ce travail entre un écrivain – Michel Butor  et un artiste – Miquel Barceló  s’inscrit pleinement dans la catégorie des œuvres croisées. Partant de 72 dessins de l’artiste réalisés à l’eau de Javel et au Gesso (un apprêt composé autrefois de plâtre et de colle animale) sur Canson noir, Butor a conçu en écho une série de poèmes. Ce titre, en apparence assez énigmatique, fait référence au poème symphonique écrit par Modeste Moussorgski, lui-même inspiré par une nouvelle de Nicolas Gogol dont le titre initial était Nuit de la Saint-Jean sur le mont Chauve. Nous nous trouvons donc en présence d’une collaboration fonctionnant à la fois sur les rapports écriture-peinture, qualifiables désormais de classique mais se situant également dans un univers musical, sorte d’univers référentiel composé de strates multiples. Les figures obligées sont le sabbat des sorcières, l’apparition des ténèbres, les danses endiablées, la valse des esprits, la présence d’ectoplasmes, les voix d’outre-tombe, etc.
  Pour Barceló il s’agit de mettre en scène des images fantastiques qui évoquent le règne humain, animal, végétal, minéral, au travers de l’émergence de formes fantomatiques. Les squelettes se réfèrent aux danses macabres traditionnelles du Moyen Âge tandis qu’un bestiaire à la fois familier et inquiétant nous laisse entrevoir un monde grouillant. La déclinaison de certains légumes passés au filtre de sa technique par l’artiste nous les fait apparaître comme radiographiés. Ils quittent leur apparence rassurante et familière en devenant des formes étrangères au monde humain. On connaît la puissance créatrice de l’artiste et sa vision personnelle du primitivisme, une sorte de débordement tous azimuts qui parfois fait songer à un maelström énergétique proche de celui de Picasso. En témoignait sa grande exposition « Terramare » d’Avignon en 2010, dans les locaux de la Collection Lambert, au palais des Papes et au Musée du Petit Palais. Un portrait de l’écrivain daté de 2009 se trouvait exposé à l’Hôtel de Caumont, annonçant ainsi de futures réalisations communes.
  Avec Michel Butor et sa volonté d’embrasser le monde il fallait trouver une équivalence littéraire au travail de l’artiste. Une déclinaison de 72 quatrains répond aux dessins, chacun possédant un titre allant d’« Endiablé » pour le premier à « Silencieux » pour le dernier. Ils se divisent en discrètes séries afin d’établir un rythme sous-jacent à l’ensemble de cette partition. On voit avec l’usage de ce terme, combien la référence musicale demeure essentielle dans l’approche butorienne et la notion d’ouverture essentielle. Partant de la danse des squelettes, c’est l’ensemble du monde visible – transfiguré par l’art – donc invisible qui se trouve convoqué à ce sabbat des lettres. La grandeur de l’encre doit rivaliser avec la puissance de la javel. Il faut faire jaillir les mots comme l’artiste fait émerger les images du néant en une transposition à la fois savante et triviale, simple mais cultivée. Comme nous le disait Butor en 1992 dans un entretien : « Les œuvres réalisées en collaboration sont difficiles mais pour cette raison elles sont exaltantes. Il s’agit d’accomplir un effort considérable pour tenter de pénétrer à l’intérieur de la pensée de l’autre. Lorsqu’on a pris l’habitude de travailler avec quelqu’un, il devient plus facile de réaliser des œuvres croisées de plus en plus ardues. » 
  Un livre à voir, un livre à lire, un livre qui ouvre sur d’autres mondes …

                                             Christian Skimao

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