mardi 24 novembre 2020

"Le goût de la tempête. L’Indochinoise et le silence", par Guillaume Mazeline, Editions Une heure en été, 2020.

Le goût de la tempête L’Indochinoise et le silence, deuxième volume d’un diptyque Par Guillaume Mazeline Editions Une heure en été, 296 pages Prix : 18,50 euros


                                                             Un barrage contre le sentiment
 


 « Viet Nam Doc Lap Dong Minh », soit Vietminh en abrégé. Dans ce dernier volume, Guillaume Mazeline, évoque le parcours de Jules Manay en Indochine et quelques-unes de ses conséquences. La construction narrative opte pour deux parties fort différentes. La première intitulée « Le temps d’un engagement mars 1948-août 1950 » s’inscrit dans une continuité explicative de son départ pour l’Indochine. Jules part seul, promettant aux membres de sa famille de les faire venir par la suite, désabusé des années de Résistance pour une aventure prétendue « exotique » où les idéaux de la République se mélangent aux réalités de ce que l’on nommait alors les colonies. Très rapidement, face à un adversaire insaisissable, Jules va devenir l’officier bâtisseur qu’il rêvait d’être, mais aussi le seigneur de guerre qui sommeillait en lui. Le contexte nouveau d’une armée française luttant contre des indépendantistes, conduit à des combats incessants de guérilla. Il finira, comme nombre de soldats français par se trouver atteint de la fameuse dysenterie amibienne. Pour le lecteur apparaissent de nombreuses références cinématographiques, comme La 317ème section de Pierre Schoendoerffer ou plus récemment L’ennemi intime de Florent Siri, qui se déroule pendant la guerre d’Algérie. Ne manquait que l’amour pour compléter le tableau, avec la rencontre de Jeanne Monestier, française, eurasienne et catholique, qui occupe des fonctions importantes dans une banque locale et dont le frère Charles est un agent du Vietminh. Tout va s’enchevêtrer, entre le souffle du désir, les illusions de plus en plus perdues et une improbable vérité, si loin de la métropole. Le roman « colonial » prend des couleurs plus sombres avant d’entrer dans une histoire où dominera le sépia. La conclusion, provisoire, repose sur une admirable lettre de Jeanne à son impossible amour, lors de son retour en France. 

   La partie deuxième s’ouvre sur une courte pagination d’annonce en capitales symbolisant le temps qui a passé, « L’emploi du temps octobre 2009 - mars 2010 », qui met en scène une autre génération liée à la précédente. Partant d’une photo de Jules militaire, en train de garder les camps de réfugiés espagnols, après la défaite républicaine de 1939, Fabien, son petit-fils, va mener une enquête, à la fois familiale et policière. Autre rythme, autre époque, autre regard sur l’Histoire. Ce mélange d’intime et de public se présente dans un portrait qui mêle les souvenirs de Lucie Pasquier, ceux réticents de son propre père, sa vie familiale, et enfin la découverte via des messages postés sur Internet, d’une tante cachée, Jeanne Gance, fille de Jeanne Monestier et de Jules. Des enthousiasmes et des abattements montrent qu’on ne remonte pas impunément le cours du temps. Dévoré par l’image de son grand-père, Fabien finit par vivre entre deux mondes, et comme le dit sa femme, Anne-Marie : « C’est mortifère ton truc. Je crois que tu en sais suffisamment aujourd’hui pour t’en dégager. » Ainsi, il n’ira pas au Vietnam, laissant chacune et chacun vivre avec ses propres vérités, mais dans un nouvel apaisement. Sur la scène du théâtre du monde, pour reprendre une formule fameuse, « la pièce touche à sa fin », écrit Guillaume Mazeline. Pour une lecture optimale du roman, le lecteur devra sans doute procéder à une révision de ses connaissances historiques. Mais l’écheveau des liens fascine grâce à une écriture claire qui mène jusqu’à la rédemption finale. L’Indochine demeurera désormais une idée pour des films à venir. 

                                                                                                                     Christian Skimao