lundi 16 novembre 2015

Le dictionnaire de la photographie / Nathalie Herschdorfer

Le dictionnaire de la photographie
Sous la direction de Nathalie Herschdorfer
Editions de La Martinière
202 x 307 mm, 448 pages
Prix : 75,00 euros



                         L’indispensable viatique des amateurs de l’instant donné



  Un dictionnaire permet de chercher une réponse à une question. Il demeure l’indispensable objet de référence, même à l’heure des bases de données. Il en acquiert d’ailleurs un charme supplémentaire et permet d’établir une relation souterraine entre l’argentique et le numérique. Pour commencer notons les indispensables caractéristiques techniques : 1200 entrées, 300 illustrations et la présence de 150 experts. Réalisé sous la direction de Nathalie Herschdorfer, spécialiste internationale de la photo et actuelle conservatrice du musée des Beaux-arts du Locle en Suisse, ce dictionnaire a paru cette année en langue anglaise chez Thames and Hudson, La Martinière en assurant l’édition française.

  Les entrées par ordre alphabétique couvrent un large spectre allant d’Abbas (Abbas Attar dit), photoreporter iranien né en 1944 à Zwart Piet (1885-1977), designer, typographe et photographe néerlandais. Il s’agit de ne pas oublier le cœur du dictionnaire ─ les photographes ─ mais aussi le vaste environnement qui les entoure, que ce soit les Agences (Magnum, par exemple), Artistes et sculpteurs (Nils Udo), Peintres (Georges Rousse) utilisant le medium mais aussi les Collectionneurs, Critiques (Jean-François Chevrier), Conservateurs, Historiens (André Rouillé), Sociologues sans oublier les Musées (MOMA à New York), Ecoles (Bauhaus), Expositions et Publications (Camera Work) les plus célèbres. Une partie technique se trouve consacrée aux Fabricants, Formats d’images, Mesures, Procédés et Termes. Bien entendu cette nomenclature ne saurait que tendre à l’exhaustivité ; l’objet dictionnaire se doit d’établir des ponts entre des domaines à la fois proches et éloignés et donner du sens à des activités existant les unes à côté des autres (le cinéma, la photographie de presse, la science, le design pour ne citer qu’eux).

  En prenant dans l’ouvrage une lettre alphabétique, le B, on découvre l’imbrication générale des termes qui comprend Roland Barthes en qualité d’auteur de La Chambre claire et de ses concepts toujours utilisés, d’Yto Barrada (artiste franco marocaine née en 1971) à la fois photographe et artiste contemporaine (exposant à l’heure actuelle à Nîmes à Carré d’art-Musée d’art contemporain) et la définition du papier Baryté ; les Becher (Bernd et Hilla) photographes des légendaires châteaux d’eau dans le sillage de la Nouvelle Objectivité côtoient Cecil Beaton, le grand photographe de mode alors qu’Edouard Boubat, représentant du courant humaniste,  jouxte Pierre Bourdieu sous le regard intéressé de Brancusi.

  Commencé en 1998, repris en 2010, Nathalie Herschdorfer a voulu illustrer la fameuse citation d’Anatole France : « Un dictionnaire c’est tout l’univers par ordre alphabétique. ». Il existe bien sûr des manques (oserais-je citer le nom de Milota Havránková, une photographe historique slovaque dont se tient une rétrospective à Prague en ce moment) liés au temps qui passe et au foisonnement mondial de ce que représente la photographie à l’heure actuelle. Si Google demeure le recours borgésien ultime, le plaisir de feuilleter les pages de « l’univers » photographique n’a pas de prix. Si ce n’est celui de l’offrir en cette fin d’année.

Christian Skimao


mercredi 6 mai 2015

Brèves de Musée- 50 haïkus pour 50 chefs-d'oeuvre Daniel Dezeuze

Daniel Dezeuze, Brèves de Musée - 50 haï­kus pour 50 chefs-d’œuvre, Edi­tions Méri­dianes, coll. qua­drant/Le Musée Fabre : visite gui­dée, Mont­pel­lier, 2015, 112 p. — 14,00 €.







                              Au bord du musée/Au bar du musée


 Daniel Dezeuze est artiste mais aussi poète. Il pratique l’art de l’ellipse avec la connaissance de l’histoire des arts au travers de cette écriture brève et lumineuse connue sous le nom de haïku. Ici 50 œuvres lui inspirent 50 haïkus. Pour mémoire, le haïku ne décrit pas les choses mais traduit un sentiment. Il travaille sur les notions de fluidité et de rapidité, respectant la contrainte des trois lignes et les rythmant sur le principe d’un nombre de pieds de type 5/7/5. Se servant d’une large sélection d’œuvres du Musée Fabre à Montpellier, allant de Pietro Campaña (16ème siècle) à Simon Hantaï (20ème siècle), l’auteur opte pour une transposition poétique, non pas occidentale dans la tradition baudelairienne mais asiatique dans le cadre d’une approche poétique à la japonaise.
  Face à l’œuvre et aux discours qui l’accompagnent, le poète choisit le parti pris de la légèreté. Ici point de nouveaux textes qui rejoindraient d’autres plus anciens jusqu’à obtenir cette «épaisseur », au demeurant fort instructive. Le savoir demeure ici en arrière-plan, laissant la place à une émotion cultivée. Prenons par exemple L’Ange Gabriel de Francisco de Zurbarán et son haïku :

« Voilure réduite
Toile de parachute
Ange délicat. »

  Il est bien question du sujet d’une peinture célèbre datant des années 1631-32 mais grâce à l’utilisation d’une pointe humoristique, Dezeuze nous entraîne vers l’époque contemporaine avec ce parachute. Cette distorsion temporelle se double alors d’une forte évocation visuelle puisque le vêtement de l’ange se trouve indirectement comparé aux plis de l’instrument nécessaire au saut dans le vide.  Le drapé du 17ème siècle retrouve ainsi toute sa pertinence face à la réalité de l’encombrement de cette étoffe salvatrice. Pourtant le début du haïku nous entraînait vers une vision plus maritime avec la « voilure ». On imagine l’action de réduire les voiles pour résoudre un souci lié aux flots ou aux nuages. Enfin l’adjectif « délicat » nous remet sur le chemin d’une certaine esthétique où la joliesse le dispute à la grâce. La peinture se retrouve à nouveau située dans son époque mais le regardeur demeure contemporain, entre maniérisme et projection imaginative.
  Enfin évoquons le génie du lieu qui accompagne cette poésie en action avec la présence incroyable du « Bar du Musée » à côté dudit musée précité. Pour le poète fatigué, une halte possible où de nouvelles brèves pourraient naître, fidèles à l’esprit, certes revisité, de Shiki Masaoka.


Christian Skimao


Une nuit sur le mont Chauve Michel Butor/ Miquel Barcelo

Une nuit sur le mont Chauve                                                                                                    
   
Poèmes de Michel Butor 
Œuvres de Miquel Barceló

Editions de la Différence, 2012

ISBN : 978-2-7291-1986-7





                  Une intranquilité nocturne




  Ce travail entre un écrivain – Michel Butor  et un artiste – Miquel Barceló  s’inscrit pleinement dans la catégorie des œuvres croisées. Partant de 72 dessins de l’artiste réalisés à l’eau de Javel et au Gesso (un apprêt composé autrefois de plâtre et de colle animale) sur Canson noir, Butor a conçu en écho une série de poèmes. Ce titre, en apparence assez énigmatique, fait référence au poème symphonique écrit par Modeste Moussorgski, lui-même inspiré par une nouvelle de Nicolas Gogol dont le titre initial était Nuit de la Saint-Jean sur le mont Chauve. Nous nous trouvons donc en présence d’une collaboration fonctionnant à la fois sur les rapports écriture-peinture, qualifiables désormais de classique mais se situant également dans un univers musical, sorte d’univers référentiel composé de strates multiples. Les figures obligées sont le sabbat des sorcières, l’apparition des ténèbres, les danses endiablées, la valse des esprits, la présence d’ectoplasmes, les voix d’outre-tombe, etc.
  Pour Barceló il s’agit de mettre en scène des images fantastiques qui évoquent le règne humain, animal, végétal, minéral, au travers de l’émergence de formes fantomatiques. Les squelettes se réfèrent aux danses macabres traditionnelles du Moyen Âge tandis qu’un bestiaire à la fois familier et inquiétant nous laisse entrevoir un monde grouillant. La déclinaison de certains légumes passés au filtre de sa technique par l’artiste nous les fait apparaître comme radiographiés. Ils quittent leur apparence rassurante et familière en devenant des formes étrangères au monde humain. On connaît la puissance créatrice de l’artiste et sa vision personnelle du primitivisme, une sorte de débordement tous azimuts qui parfois fait songer à un maelström énergétique proche de celui de Picasso. En témoignait sa grande exposition « Terramare » d’Avignon en 2010, dans les locaux de la Collection Lambert, au palais des Papes et au Musée du Petit Palais. Un portrait de l’écrivain daté de 2009 se trouvait exposé à l’Hôtel de Caumont, annonçant ainsi de futures réalisations communes.
  Avec Michel Butor et sa volonté d’embrasser le monde il fallait trouver une équivalence littéraire au travail de l’artiste. Une déclinaison de 72 quatrains répond aux dessins, chacun possédant un titre allant d’« Endiablé » pour le premier à « Silencieux » pour le dernier. Ils se divisent en discrètes séries afin d’établir un rythme sous-jacent à l’ensemble de cette partition. On voit avec l’usage de ce terme, combien la référence musicale demeure essentielle dans l’approche butorienne et la notion d’ouverture essentielle. Partant de la danse des squelettes, c’est l’ensemble du monde visible – transfiguré par l’art – donc invisible qui se trouve convoqué à ce sabbat des lettres. La grandeur de l’encre doit rivaliser avec la puissance de la javel. Il faut faire jaillir les mots comme l’artiste fait émerger les images du néant en une transposition à la fois savante et triviale, simple mais cultivée. Comme nous le disait Butor en 1992 dans un entretien : « Les œuvres réalisées en collaboration sont difficiles mais pour cette raison elles sont exaltantes. Il s’agit d’accomplir un effort considérable pour tenter de pénétrer à l’intérieur de la pensée de l’autre. Lorsqu’on a pris l’habitude de travailler avec quelqu’un, il devient plus facile de réaliser des œuvres croisées de plus en plus ardues. » 
  Un livre à voir, un livre à lire, un livre qui ouvre sur d’autres mondes …

                                             Christian Skimao