Le goût de la tempête
Normandie douce-amère, premier volume d’un diptyque
Par Guillaume Mazeline
Editions Une heure en été
202 x 307 mm, 448 pages
Prix : 21,00 euros
L’Histoire fournit un excellent cadre aux
écrivains. La Deuxième Guerre mondiale demeure un lieu de tensions encore
palpables aujourd’hui, où se déroulèrent bien des enjeux et crimes du 20ème
siècle. Si le roman s’enracine dans cette problématique, il ne s’agit encore que
du premier volume d’un diptyque, ouvrant sur la « drôle de guerre »
en France, donc avant la défaite provisoire de juin 1940, continuant avec
la période de la Résistance et se terminant provisoirement avec la Libération
et le climat de l’épuration.
La vie de Jules Manay, instituteur et jeune
appelé de vingt-cinq ans, bascule avec la défaite et il va alors rejoindre ceux
qui refusent de baisser les bras. Il s’active énergiquement contre l’occupant,
échappe aux traques de la Gestapo et de ses nervis français, et finit
responsable départemental des FFI, mais à quel prix ? Ce combat mené
contre les nazis et son absence auprès de Marie, sa femme, finit par miner son
couple et le laisse comme englouti par ces événements terribles qui lui
révèlent également la jouissance du combat. La Normandie se trouvera libérée,
en ruines et rien ne sera plus comme avant, en raison du prix du sang (la mort
de son frère exécuté, la mort de son fils Julien dans un bombardement), la clandestinité,
et sans doute aussi une terrible fêlure intime. Il va rejoindre l’armée
française régulière et se laisse, peu à peu gagner par le désenchantement, devant
le retour de résistants de la dernière heure et autres trafiquants, redevenus patriotes
par la magie des certificats de complaisance.
Usant d’une prose lumineuse, qualifiable de
classique, Guillaume Mazeline dépeint un environnement où les figures féminines
ont également un grand rôle. Marie subit les événements (la mort d’un de leurs
enfants lors d’un bombardement, les privations, l’éloignement de son mari,
etc.) sans jamais se départir d’un grand courage. Lucie, amoureuse secrètement
de Jules va s’engager dans la lutte et subir les outrages de faux résistants, mais
vrais gangsters qui se vengent sur elle, ne pouvant atteindre directement Jules.
Mireille, l’amie de Marie, qui préfère les femmes, cache aussi un amour secret
pour elle. Paradoxalement, les certitudes des hommes s’effilochent devant la
ténacité des femmes. Ces dernières conquièrent une liberté personnelle. Cette
approche, contemporaine, se situe dans le contexte d’une société désormais bien
ancienne pour nous, une troisième République corsetée au niveau des mœurs et
des rôles sociaux entre femmes et hommes. Les scènes de sexe se trouvent traitées
de façon assez elliptique, laissant place à l’imagination, nous épargnant un
voyeurisme facile, souvent trop répandu aujourd’hui.
La vie, la mort, l’amour, appartiennent à la grande
trilogie littéraire. Les sentiments s’expriment parfois, pourtant la chair
demeure souvent triste. Un trouble insidieux se répand, contaminant le lyrisme
des lendemains. La clandestinité crée des abîmes d’où personne ne sort
véritablement indemne. En 51 chapitres, se trouve énoncée cette « règle du
jeu » pour reprendre le titre de ce grand film de Renoir, sorti en 1939
justement, mais ne s’agit-il pas ici, pour chacune et chacun, d’une autre
« règle du je », à réinventer quotidiennement.
Christian Skimao