samedi 16 novembre 2019

"Le goût de la tempête Normandie douce-amère", par Guillaume Mazeline Editions Une heure en été, 2019.

Le goût de la tempête
Normandie douce-amère, premier volume d’un diptyque
Par Guillaume Mazeline
Editions Une heure en été
202 x 307 mm, 448 pages

Prix : 21,00 euros



                                             


                                            Des lendemains qui déchantent



  L’Histoire fournit un excellent cadre aux écrivains. La Deuxième Guerre mondiale demeure un lieu de tensions encore palpables aujourd’hui, où se déroulèrent bien des enjeux et crimes du 20ème siècle. Si le roman s’enracine dans cette problématique, il ne s’agit encore que du premier volume d’un diptyque, ouvrant sur la « drôle de guerre » en France, donc avant la défaite provisoire de juin 1940, continuant avec la période de la Résistance et se terminant provisoirement avec la Libération et le climat de l’épuration.

  La vie de Jules Manay, instituteur et jeune appelé de vingt-cinq ans, bascule avec la défaite et il va alors rejoindre ceux qui refusent de baisser les bras. Il s’active énergiquement contre l’occupant, échappe aux traques de la Gestapo et de ses nervis français, et finit responsable départemental des FFI, mais à quel prix ? Ce combat mené contre les nazis et son absence auprès de Marie, sa femme, finit par miner son couple et le laisse comme englouti par ces événements terribles qui lui révèlent également la jouissance du combat. La Normandie se trouvera libérée, en ruines et rien ne sera plus comme avant, en raison du prix du sang (la mort de son frère exécuté, la mort de son fils Julien dans un bombardement), la clandestinité, et sans doute aussi une terrible fêlure intime. Il va rejoindre l’armée française régulière et se laisse, peu à peu gagner par le désenchantement, devant le retour de résistants de la dernière heure et autres trafiquants, redevenus patriotes par la magie des certificats de complaisance.

  Usant d’une prose lumineuse, qualifiable de classique, Guillaume Mazeline dépeint un environnement où les figures féminines ont également un grand rôle. Marie subit les événements (la mort d’un de leurs enfants lors d’un bombardement, les privations, l’éloignement de son mari, etc.) sans jamais se départir d’un grand courage. Lucie, amoureuse secrètement de Jules va s’engager dans la lutte et subir les outrages de faux résistants, mais vrais gangsters qui se vengent sur elle, ne pouvant atteindre directement Jules. Mireille, l’amie de Marie, qui préfère les femmes, cache aussi un amour secret pour elle. Paradoxalement, les certitudes des hommes s’effilochent devant la ténacité des femmes. Ces dernières conquièrent une liberté personnelle. Cette approche, contemporaine, se situe dans le contexte d’une société désormais bien ancienne pour nous, une troisième République corsetée au niveau des mœurs et des rôles sociaux entre femmes et hommes. Les scènes de sexe se trouvent traitées de façon assez elliptique, laissant place à l’imagination, nous épargnant un voyeurisme facile, souvent trop répandu aujourd’hui.

  La vie, la mort, l’amour, appartiennent à la grande trilogie littéraire. Les sentiments s’expriment parfois, pourtant la chair demeure souvent triste. Un trouble insidieux se répand, contaminant le lyrisme des lendemains. La clandestinité crée des abîmes d’où personne ne sort véritablement indemne. En 51 chapitres, se trouve énoncée cette « règle du jeu » pour reprendre le titre de ce grand film de Renoir, sorti en 1939 justement, mais ne s’agit-il pas ici, pour chacune et chacun, d’une autre « règle du je », à réinventer quotidiennement.


                                                                                                                      Christian Skimao