In memoriam Pierre Soulages 1919-2022
Conques Les vitraux de Pierre Soulages
Editions du Seuil, 1994.
Une lumière mise à nue par sa matière même
Des descriptifs historiques
La basilique romane Sainte Foy de Conques, bâtie au 11ème siècle et sise sur le chemin du pèlerinage de saint Jacques de Compostelle, se trouve choisie par Pierre Soulages comme lieu d'intervention artistique sur les vitraux, après bien des propositions faites à l'artiste par la Délégation aux Arts plastiques et la Direction du Patrimoine.
En février 1987 Dominique Bozo réactive ce projet qui se trouvait en sommeil et en août de la même année est établi un cahier des charges pour le site de Conques en Aveyron.
L'intervention porte sur un ensemble de 95 verrières et 9 meurtrières visibles de l'intérieur comme de l'extérieur ; elle prend place dans le cadre de la commande publique voulue par l'Etat français afin de redonner une nouvelle vie aux monuments anciens.
Pierre Soulages décide de d'utiliser un verre translucide mais non transparent, à transmission diffuse de la lumière, en quelque sorte proche de l’albâtre ; ce verre n'existant pas en tant que tel, il décide de faire des recherches pour aboutir à sa fabrication.
La mise au point du projet dure de janvier 1986 à juin 1992 tandis que la réalisation et l'installation se déroule de juin 1992 à juin 1994 ; il se compose d'une surface à réaliser de 250 m2 soit 13200 kilogrammes de verre et 4000 kilos de plomb, ce qui donne une idée de l'ampleur de la tâche accomplie.
Des dispositifs de recherche
Ce verre si particulier nécessite de nombreux tâtonnements et sa recherche s'inscrit dans la démarche globale voulue par Soulages ; plutôt que d'opter pour un travail à réaliser à partir de cartons préparatoires, il décide de trouver en premier lieu, le matériau susceptible de s'adapter puis de réaliser les maquettes nécessaires au montage final.
En janvier 1988 se déroulent les premiers essais au Centre International de Recherches sur le Verre (C.I.R.V.A.) à Marseille ; des contacts se trouvent pris avec la société Saint-Gobain et en juillet débute la collaboration avec Jean-Dominique Fleury, maître-verrier à Toulouse mais possédant une solide formation de peintre.
Ce nouveau couple artistique dont l'importance n'échappe à personne, oblige à une constante réciprocité de la part des intervenants lors de la conception des vitraux ; la dualité engendrée entre "savoir" et "faire" doit se fondre en un résultat commun. Alchimie.
De nombreux essais de fabrication ont encore lieu et en décembre 1991 Soulages et Fleury se rendent en Allemagne à Rheine auprès de l'entreprise Glaskunst Klinge qui se chargera finalement de la fabrication de cette matière quasi-magique : le verre pour Conques d'après Soulages.
Des projets personnels
On connaît la passion éprouvée par l'artiste pour les problèmes techniques et leur résolution; confronté à cette quête concernant la matière même de sa pratique, il s'y consacre à plein temps, délaissant à cette occasion sa pratique picturale.
Ainsi Soulages n'a pas simplement transposé sa peinture dans les ouvertures mais retrouvé le concept même de lumière, ici appliqué à un lieu fermé et voulu comme tel par ses bâtisseurs.
Cette transmission de la lumière naturelle doit tenir compte de l'architecture existante mais aussi des contraintes liées à l'utilisation des plombs ; en effet les lames de verre doivent filtrer la clarté en optant pour des horizontales et parfois des obliques, droites ou courbes.
Dès lors la lumière épouse des contours mouvants et va créer paradoxalement un espace mobile de diffusion ; en fonction des diverses heures du jour, les teintes même de cette lumière "blanche" varient et se chargent de couleurs parfois chaudes et parfois froides.
La découverte d'un verre susceptible de respecter l'identité de l'église et de se fondre avec les murs constitue un autre pari ; le respect du "génie du lieu" et sa mise en lumière contemporaine passe par une réflexion sur la perception romane actuelle.
Ainsi une nouvelle polychromie n'aurait pas eu sa place dans le cadre de cette restauration ; il fallait opérer un déplacement dans l'immatériel pour retrouver la beauté même des formes architecturales primitives.
De la perception
On constate une double approche pour le spectateur, selon qu'il observe les vitraux à l'intérieur ou à l'extérieur ; en effet ceux-ci doivent répondre à une esthétique générale externe quant à leur environnement et jouer de façon interne leur rôle immatériel.
Ainsi le mouvement opéré entre les deux compose une dynamique ; les effets optiques couvrent l'ensemble de l'architecture, la rendant plus présente encore tout en l'enveloppant d'une clarté diffuse et propice à la méditation.
La difficulté rencontrée dans un lieu voué au sacré peut engendrer bien des hésitations et des réserves ; il s'agit de respecter une certaine transcendance tout en conservant l'acquis du contemporain.
Pierre Soulages, de par sa pratique picturale axée sur les effets de lumière au travers de la couleur noire, pouvait ici, mieux que quiconque, relever le défi ; sa maîtrise intérieure, proche de la pensée extrême orientale pouvait dès lors s'intégrer en ce lieu occidental.
Cette mouvance existentielle et ce dépassement référentiel servent de cadre à l'échappée artistique ; l’émotion y retrouve ses droits face à un concept qui s’estompe, tant sa réalisation se trouve maîtrisée.
Certains esprits chagrins nous assènent souvent que l'art contemporain manque de souffle par rapport à celui d’autrefois ; ici les vitraux de Pierre Soulages déplacent les objections et redonnent un nouveau souffle à Conques.
Le vent de l'esprit...
De la documentation
Un livre paru aux Editions du Seuil en 1994, intitulé
Conques Les vitraux de Pierre Soulages permet de faire le point ; il comprend une préface de Georges Duby, un texte de Christian Heck, des notes de travail de Pierre Soulages et un entretien avec Jean-Dominique Fleury. Avec un reportage photographique de Vincent Cunillère.
Christian Skimao